FLASH SOCIAL – JURISPRUDENCE : DISCRIMINATION SYNDICALE & DROIT DE LA PREUVE

23 septembre 2021

Faits :

Un salarié, titulaire de mandats syndicaux et représentatifs depuis 2001, s’estimant victime de discrimination, notamment syndicale, sollicitait, en référé, en application de l’article 145 du Code de procédure civile, la communication par son employeur d’un certain nombre d’informations permettant de retracer l’évolution professionnelle depuis 2002 d’un panel de salariés appartenant à la même catégorie professionnelle, au même niveau ou à un niveau très proche de qualification/classification.

La société avait transmis un tableau comparatif insuffisamment documenté et difficilement exploitable mais avait notamment communiqué avant l’audience les fiches individuelles de 10 collaborateurs se trouvant dans une situation comparable à celle du salarié. Ces documents étaient anonymisés mais mentionnaient le numéro de matricule des salariés, permettant d’en vérifier l’authenticité.

Les juges ont débouté le salarié considérant que le panel communiqué par la société était assez large et que les fiches communiquées par l’employeur étaient suffisamment complètes pour permettre au salarié de procéder à la comparaison souhaitée.

Ils estimaient aussi que le mécanisme probatoire spécial institué en matière de discrimination rendait inutile la production des éléments sollicités dans le cadre de la présente instance.

La demande présentée par le salarié n’apparaissait donc pas, selon eux, justifiée par un motif légitime.

La Cour de cassation censure l’arrêt rendu par la cour d’appel.

Apports de l’arrêt :

  • Pour rappel, l’octroi d’une mesure d’instruction in futurum par le juge, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, est subordonné à : 1) l’absence d’instance au fond ; 2) l’existence d’un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
    Un aménagement des règles relatives à l’administration de la preuve est prévu par le Code du travail en matière de discrimination : 1) le salarié doit présenter des éléments de fait qui laissent supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ; 2) au vu de ces éléments, il incombe ensuite à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; 3) le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. (C. trav., art. L. 1134-1).
  • Dans cet arrêt, la Cour de cassation considère que le salarié, qui s’estime victime de discrimination, peut solliciter des mesures d’instruction in futurum sur le fondement l’article 145 du Code de procédure civile, quand bien même un régime probatoire spécial existe en matière de discrimination et autorise le juge à ordonner « en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles » (C. trav., art. L. 1134-1, al. 3).
    Le juge ne peut donc rejeter une demande pour ce motif lorsqu’il constate que les conditions prévues à l’article 145 du CPC sont réunies. Le régime probatoire prévu par le Code du travail en matière de discrimination n’exclut pas les mesures d’instruction in futurum du Code de procédure civile, ces mécanismes n’ayant pas la même finalité : procédure au fond déjà engagée / procédure en vue de se préconstituer des preuves avant un éventuel procès.
  • Dans le prolongement d’un précédent arrêt rendu le 16 décembre 2020 (Cass. soc., 16 déc. 2020, n° 19-17.637 ; V. aussi : Cass. soc., 16 mars 2021, n° 19-21.063), la Cour confirme la méthodologie que doit adopter le juge en cas de demande de pièces sur le fondement l’article 145 du Code de procédure civile. Il lui appartient notamment de contrôler, in concreto, la proportionnalité entre l’atteinte à la vie personnelle des autres salariés et le but poursuivi : 1) d’abord, en recherchant si la communication n’est pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s’il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ; 2) ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, en vérifiant quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées.

Réf. : Cass. soc., 22 septembre 2021, n° 19-26.144 (F-B)