
JURISPRUDENCE : Témoignages anonymisés et preuve du licenciement
Témoignages anonymisés – Droit à la preuve – Principe d’ « égalité des armes » – Obligation de sécurité de l’employeur
Un salarié est licencié pour faute grave pour (i) avoir fait régner un climat de peur au sein de l’entreprise et (ii) avoir repris ses horaires d’équipe de l’après-midi, sans l’accord de l’employeur, qui l’avait affecté à une équipe de nuit afin de limiter au maximum ses contacts avec les salariés ayant exprimé leurs craintes à son égard. A l’appui de ce licenciement, l’employeur produit uniquement des témoignages anonymisés.
Des témoignages anonymisés peuvent-ils être la seule preuve d’un motif de licenciement ?
Règle applicable : Le juge ne peut pas fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes (Cass. soc., 4 juillet 2018, n° 17-18.241).
En revanche, il peut prendre en considération des témoignages anonymisés (c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs, dont l’identité est connue de la personne qui produit les témoignages), lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence (Cass., soc. 19 avril 2023, n° 21-20.308).
La Cour de cassation infléchit cette position en jugeant que même en l’absence d’autres éléments, des témoignages anonymisés peuvent être retenus par le juge, si leur production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte portée au principe d’ « égalité des armes » est strictement proportionnée au but poursuivi.
En l’espèce, elle relève que la production de témoignages anonymisés était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur tenu d’assurer la sécurité et de protéger la santé des travailleurs, et plus précisément que :
– les témoignages anonymisés avaient été recueillis par un huissier de justice, responsable de la rédaction de ses actes pour les indications matérielles ;
– l’identité des auteurs des témoignages était connue de l’employeur, de l’huissier de justice et des juges ;
– le salarié avait été affecté à une autre équipe, pour un comportement similaire à celui reproché dans la lettre de licenciement ;
– il avait eu connaissance des témoignages et avait pu s’expliquer sur les faits qui y étaient relatés.
L’atteinte portée au principe d’ « égalité des armes » (le fait de ne pas connaitre l’identité des personnes ayant témoigné contre lui) est ici proportionnée au but poursuivi.
Cass. soc., 19 mars 2025, n° 23-19.154