
JURISPRUDENCE : Harcèlement moral institutionnel
Harcèlement moral institutionnel – Infraction pénale – Affaire « France Telecom »
L’infraction pénale de harcèlement moral peut-elle être caractérisée par la définition et la mise en œuvre d’une politique générale d’entreprise conduisant, en toute connaissance de cause, à une dégradation des conditions de travail de salariés non individuellement désignés ?
Règle applicable : le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni pénalement (C. pénal, art. 222-33-2).
La chambre criminelle reconnait pour la première fois un « harcèlement moral institutionnel » qui peut se définir comme des « agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés ».
La Cour de cassation juge que, lorsque les agissements ont pour objet (et non pour effet) la dégradation des conditions de travail, la loi n’impose pas qu’ils s’exercent à l’encontre d’une victime déterminée ou dans une relation interpersonnelle entre l’auteur et la victime. Il suffit qu’auteur(s) et victime(s) appartiennent à une « même communauté de travail » et aient été susceptibles de subir ou aient effectivement subi, les conséquences de ces agissements.
En l’espèce, la politique assortie d’un objectif impératif de réduction des effectifs reposait sur la création d’un climat anxiogène et s’était notamment concrétisée par (i) la pression donnée au contrôle des départs dans le suivi des effectifs à tous les niveaux de la chaine hiérarchique, (ii) la prise en compte des départs dans la rémunération des membres de l’encadrement et (iii) le conditionnement de la hiérarchie intermédiaire à la déflation des effectifs lors des formations dispensées. Les décisions prises et les propos publics tenus démontraient une conduite du groupe dépassant les limites admissibles du pouvoir de direction et de contrôle des dirigeants.
Pour sa part, la chambre sociale a déjà reconnu le harcèlement moral managérial (Cass. soc., 10 nov. 2009, n° 07-45.321). La définition du harcèlement moral dans le Code du travail et dans le Code pénal étant proche (C. trav., art. L. 1152-1), la chambre sociale pourrait également reconnaître un harcèlement moral institutionnel.
Cass. crim., 21 janvier 2025, n° 22-87.145